Selon la théorie du cycle social, les ères historiques se succèdent naturellement dans l’ordre suivant : de la société shu’dra (ouvrière), à la société ks’attriya (guerrière), suivie par l’ère vipra (intellectuelle) pour finalement aboutir à l’ère vaeshya (marchande). Ensuite, un autre cycle social commence et ainsi de suite. On pourrait objecter qu’une telle vision cyclique de l’histoire est incapable de représenter correctement la marche du progrès humain. Mais ici, « cycle » ne signifie pas que l’on tourne en cercles fermés, ou que l’on revienne continuellement sur ses pas. Le mouvement du cycle social est au contraire en spirale, à la fois en cercle, et dans une direction bien précise, permettant la réalisation de progrès notables. Ces progrès rappelons-le, sont tous des avancées vers un niveau de conscience plus élevé.
D’un point de vue historique, la période qui s’étend depuis l’apparition des premiers humains jusqu’à la formation des sociétés de l’âge de pierre, constitue une ère shu’dra. Les êtres humains, extrêmement dépendants des forces de la nature, étaient des esclaves virtuels des conditions matérielles. Les humains, forcés de lutter contre leur environnement et contre d’autres clans pour l’acquisition de maigres ressources, connurent une expansion graduelle de leur esprit qui grandit en complexité, capacité et force. La confiance, la bravoure et la capacité de diriger et de dominer l’environnement social et matériel, se développèrent chez certains humains. Ces qualités s’exprimèrent surtout par des prouesses physiques qui marquèrent le début à la fois de l’ère guerrière et de la civilisation humaine au sens le plus noble. Ce système de clan grandit en unité et discipline, et un sens de responsabilité social se développa graduellement. Les femmes, vues comme les mères du clan, dirigèrent cette ère à son commencement. Il est ici nécessaire de comprendre l’immense contribution des femmes pendant presque 1 million d’années de matriarcat – depuis la naissance des humains jusqu’à la première apparition du patriarcat, il y a 10000 ans environ.
Au cours des luttes des différentes sociétés guerrières contre les éléments naturels et les unes contre les autres, le pouvoir intellectuel des êtres humains se développa, et l’émergence des premiers vipras se traduisit par des découvertes scientifiques telles que le feu, l’arc et la flèche, l’aiguille et le fil, la charrue et la poterie, ainsi que des progrès en élevage, en agriculture, etc. Au cours de ce long processus, les vipras commencèrent à occuper une place de plus en plus importante dans la société, pour finalement devenir l’atout le plus précieux des chefs ks’attriya. En effet, la guerre grandissant en complexité, les tactiques et la stratégie devinrent tout aussi importantes que le courage et l’habileté. Et sans la contribution d’un intellect supérieur, la victoire devenait impossible.
Dans la deuxième partie de la première ère ks’attriya, les hommes mirent fin à l’ordre matriarcal et établirent un nouveau système basé sur la domination des mâles. Par la suite, ce système fut institutionalisé avec l’apparition du mariage, de la propriété privée, et des cités états. La religion au lieu de la magie, devint la vision sociale dominante, et la direction passa du conseil tribal dans les mains de rois guerriers. Cette transition permit la formation des grands empires de l’histoire ancienne – les aryens, les sumériens, les assyriens, les babyloniens, les perses, les égyptiens, les macédoniens et les romains.
Avec le temps, les intellectuels, qu’ils soient ministres ou prêtres gagnèrent en importance. L’apparition de l’ère vipra se signale par une perte d’autorité personnelle des rois guerriers, l’administration sociale se basant de plus en plus sur les écritures et les lois. Au moyen d’injonctions sociales ou religieuses, les intellectuels, dans leurs rôles de ministres, prêtres, législateurs, ou sages, commencèrent à diriger la société et à façonner son développement.
C’est pendant cette phase vipra du cycle social, que la vie culturelle de la société s’épanouit. Et, sous l’influence de vipras bienveillants, la conscience et le développement mental des êtres humains atteignent leur apogée. Pendant cet âge d’or de l’ère vipra, toutes les institutions culturelles, religieuses, et gouvernementales sont renforcées. Et sous les auspices de ces institutions, la science, l’art et les autres branches de savoir fleurissent. Le début de l’époque bouddhiste en Inde, Chine et Asie du sud-est, montre un tel développement, ainsi que le moyen âge en Europe, avec ses centres monastiques d’étude.
Par la suite, la classe vipra, de plus en plus obsédée par la préservation de ses privilèges sociaux, se fit plus oppressive. Pour maintenir leur domination, les vipras eurent recours à de nombreux « outils », l’un des plus puissants consistant à injecter dans les modes de pensée des autres classes des superstitions et divers complexes psychiques. C’est ainsi que les femmes furent reléguées dans des rôles serviles. La domination masculine atteint de nouveaux sommets tandis que les femmes étaient persécutées et littéralement « infectées » par de nombreux complexes d’infériorité. Ainsi les femmes se virent dénier tout accès à l’éducation pendant la première ère vipra, dans les sociétés orientales comme occidentales.
Trop préoccupés par le confort et les privilèges, les vipras tombèrent peu à peu sous la domination des possesseurs de ces richesses, qui commencèrent à acheter leurs terres et à les employer à leur service. C’est de cette façon que se développa la classe marchande, infusant un dynamisme nouveau à la société. Une nouvelle machinerie sociale et politique fut créée, pour assurer à tous une plus grande liberté. L’habileté et le pragmatisme de la classe vaeshya eurent graduellement raison du bourbier de superstitions et des institutions décadentes établies à la fin de l’ère vipran. En Europe et dans ses colonies, des ébauches de mouvements démocratiques prirent place, conduisant à la chambre des communes en Grande Bretagne, à la révolution française, etc. et à une lente réduction de l’inégalité des sexes. L’impérialisme européen et plus tardivement japonais, sont également des sous-produits de l’ère vaeshya. En effet, aux yeux des amasseurs, tout, même un être humain, devient un moyen de réaliser du profit. Cette vision s’imposa progressivement à la société, alors que la classe amasseuse, initialement sous le patronage de l’église ou de nations rebelles comme l’Angleterre, utilisa les qualités martiales de la classe ks’attriya pour attaquer des navires ennemis et coloniser le monde. Le but de cette entreprise était seulement d’extraire un maximum de ressources, y compris les esclaves, pour fabriquer et vendre des produits. C’est ainsi que la classe marchande construisit toutes les nations industrialisées du monde.
Pendant le déclin de l’âge marchand, l’économie est poussée vers une plus grande efficacité, dans un effort pour maximiser les profits. Ceci se fait au détriment de l’emploi et du pouvoir d’achat des travailleurs. En outre, l’environnement est détruit par le développement d’une société de consommation. L’argent devient hyper-centralisé et circule moins dans la société, ce qui réduit le pouvoir d’achat de la population. Nombre d’intellectuels et de guerriers sont réduits à la condition économique des shu’dras. Ce sont ces mêmes intellectuels et guerriers mécontents, qui un jour, désespérés par la pauvreté et l’échec des marchés financiers, réussiront à soulever le peuple, pour reprendre le contrôle de l’économie et des structures sociales. Ceci marque la fin de l’ère marchande et le commencement d’une nouvelle ère shu’dra. Bien que techniquement parlant, une société shu’dra devrait émerger après le renversement de l’ordre vaeshya, cette ère shu’dra (essentiellement anarchique), se termine dès que les leaders de la révolution confortent leur position et leur pouvoir. Par exemple, la révolution prolétarienne des pays communistes, commençant avec la Russie, représentent cette phase du cycle social : une domination vaeshya terminée par une révolution shu’dra, aboutissant à une nouvelle société ks’attriya. De cette façon, le mouvement cyclique de la société se poursuit, et l’humanité entre dans la deuxième spirale du cycle social.